La naissance du locavorisme
Trois femmes dont deux chefs de cuisine, DeDe Sampson et Jessica Prentice, sont à l’origine de ce mouvement. Mais, c’est surtout cette dernière, de plus écrivaine, qui a porté ce projet né à San Francisco. En effet, Jessica Prentice est déjà adepte de cette façon de consommer et membre fondateur d’un groupe nommé CSK (Community Supporter kitchen). Ces consommateurs membres dégustent des plats cuisinés, confectionnés avec des produits locaux et de saison, afin de promouvoir l’agriculture de proximité. Tentées d’encourager ce concept, le trio de femmes publient un article dans le San Francisco Chronique, en mettant au défi les volontaires de ne consommer pendant un mois que des produits achetés dans un rayon kilométrique moindre. Le succès est immédiat et prend une telle ampleur que la création d’un mot pour le qualifier s’est très vite imposé. Petit à petit, « locavore » prend sa place. Composé de deux parties latines : loca pour locus (le lieu) et vorare pour avaler, ce petit mot, facile à prononcer, revêt en même temps quelque chose de très sérieux.
La naissance du locavorisme a donc lieu et consiste ainsi à acheter ses produits alimentaires dans un rayon allant de cent à deux cent cinquante kilomètres autour de son domicile, le nombre de kilomètres faisant toujours débat d’ailleurs.
Quelles motivations poussent les locavores ?
Plusieurs raisons sont à l’origine de ce mouvement. Prendre soin de sa santé en est une. En effet, il n’est plus à démontrer les bienfaits de légumes ou de fruits consommés en saison. Muris au soleil et récoltés à maturité, ils regorgent en effet de vitamines et de minéraux. A l’inverse, ces produits consommés hors saison, grandissent sous serre arrosés régulièrement de pesticides. Ils sont ramassés avant leur maturité et généralement transportés en chambre froide. Et nous ne restons pas longtemps septiques si nous croquons dans une tomate ramassée au mois de juin ou de juillet pleine de graine encore chaude du soleil qui l’a fait pousser ou si nous essayons de mordre dans le même fruit au mois de décembre !
La nature étant particulièrement bien faite, elles nous offrent, selon les mois de l’année, les aliments dont notre corps a besoin. L’hiver nous demande plus de vitamines pour affronter le froid. Qu’à cela ne tienne, dame Nature nous offre les kiwis ou les oranges. De même, les gratins qui nous réchauffent sont cuisinés grâce aux nombreuses variétés de courges ou de pommes de terre. L’été au contraire, l’hydratation est un souci quotidien. Mais les nombreux fruits et légumes, gorgés d’eau sont là pour nous désaltérer. Ainsi, tomates, concombres, pastèques, melons, fraises garnissent nos assiettes.
Le locavorisme est aussi l’occasion de découvertes nombreuses. Depuis sa naissance, on voit ainsi réapparaître de vieux légumes oubliés. Souvent associés aux périodes de guerre et de disette, ces légumes ont volontairement été mis de côté. Il suffit en effet de prononcer le mot crosne ou rutabaga devant une personne d’un certain âge pour lui rappeler de mauvais moments. Ces deux produits remplaçaient en effet les pommes de terre, dont les récoltes étaient réquisitionnées pendant la guerre. Ces légumes ont cependant de nombreux avantages et les agriculteurs les remettent petit à petit au goût du jour. Leur renaissance doit aussi beaucoup aux chefs cuisiniers qui s’en emparent. Crus, à la vapeur, en purée ou au four, ils sont déclinés de façon originale pour nous permettre de redécouvrir leurs saveurs et pour nous faire profiter de qualités nutritionnelles intéressantes.
Considérés comme des légumes-racines, ils sont très résistants au gel et aux insectes et se conservent très longtemps après la cueillette. Ils demandent moins de travail à l’exploitant. Ainsi, nous trouvons maintenant sur les étals topinambours, panais, radis noirs et blancs, cerfeuils tubéreux, cardon, raifort, salsifis, carotte blanche …
L’enjeu écologique prend toute sa dimension pour les locavores. Les trajets pour vendre les produits sont moins longs voire inexistants, les emballages sont souvent des sacs en papiers ou en tissus réutilisables. D’autre part, plus question de jeter, les produits achetés sont consommés et de préférence sans gaspiller. Ainsi, les locavores savent parfaitement cuisiner les feuilles des côtes de bettes ou les fanes des radis.
Ces trois raisons sont principales mais la biodiversité des cultures en est une autre, toute aussi importante. Par définition, bio égal vie, et contrairement à la monoculture, cette technique permet ainsi de faire vivre les sols. La monoculture demande en effet une grande utilisation de pesticides et de produits chimiques pour endiguer les invasions d’insectes dévastateurs qu’aucun prédateur ne peut arrêter.
Les paysans d’avant ne s’y trompaient pas et privilégiaient la polyculture qui créée un équilibre naturel entre parasites et prédateurs, appelé aussi lutte biologique. Les cultures diversifiées amènent en effet une population d’insectes se régulant seul.
Les locavores qui recherchent une nourriture saine, sont les premiers adeptes de ce mode de fonctionnement utilisant peu ou pas de produits chimiques. Les agriculteurs pratiquent donc de plus en plus la polyculture. Et les éleveurs suivent le mouvement en pratiquant le polyélevage qui consiste aussi à diversifier les élevages. Une alliance des deux est d’ailleurs utilisée en permaculture et en agriculture biologique. Les champs sont utilisés ainsi pour les récoltes puis pour les pâtures. Les déjections des divers animaux servent d’engrais naturels et la boucle est en perpétuel recommencement.
Consommer local permet aussi de faire vivre ou revivre des filières malmenées depuis longtemps. En effet, les études tendent à démontrer qu’agriculteurs et éleveurs entre autres, peinent à vivre de leur métier. En achetant local, les locavores aident ainsi à soutenir les emplois de ces professionnels et à créer de nouvelles exploitations. L’achat de produits locaux demandent du personnel : la production, la transformation et la vente génèrent ainsi des emplois, d’autant que la demande est de plus en plus grande. Par ailleurs, les agricultures, éleveurs, apiculteurs, brasseurs, vignerons entre autres ont de nouvelles casquettes notamment celle de pédagogues. Ils n’hésitent plus à organiser des visites pour expliquer les différentes étapes de leur travail sur leurs exploitations et faire de nouveaux adeptes ou en fidéliser d’autres.
D’autre part, les salaires deviennent plus décents du fait des circuits ainsi devenus courts car les prix sont fixés librement. Les ventes sont directes et donc sans intermédiaires. Mais, certaines cependant, demandent une personne intermédiaire. C’est le cas de la restauration collective par exemple ou des commerces détaillants.
La création du lien social qui s’établit est par ailleurs très bénéfique. Les exploitants, quels qu’il soient, invitent les consommateurs à découvrir ou redécouvrir leurs métiers et leur savoir-faire. Très friands de ces moments privilégiés, le locavore demande des détails sur les modes de production, sur les techniques et s’enrichit des conseils prodigués. La confiance s’installe entre les deux parties, le client peut ainsi mettre un visage derrière les produits convoités. Le dialogue, inexistant depuis de nombreuses années, reprend peu à peu toute sa place et visites sur les exploitations, cueillettes, voire aide aux travaux deviennent courants.
Que trouve-t-on chez les petits producteurs ?
Le pays est riche de produits de toutes sortes mais, par définition, l’appartenance à un département ou à une région définit localement ceux que l’on pourra consommer sur place. La Savoie par exemple ne vend pas de poissons de mer pas plus que la Normandie ne vend de tome de Yenne ni d’olives de Nyons. La diversité des producteurs locaux reste tout de même immense. On peut ainsi retrouver un panel de denrées alimentaires utilisant les spécificités de leur lieu de culture ou d’élevage. Ostréiculteurs poissonniers, oléiculteurs font ainsi partie par exemple des métiers que l’on ne retrouve pas sur tout le territoire. Mais, il existe bien sur un « tronc commun » : boulangers, maraîchers, éleveurs, vignerons, brasseurs, fromagers, apiculteurs, volaillers, céréaliers, chevriers … mettant chacun en exergue les produits phares de leur région respective.
Ces métiers sont les plus courants, mais désormais on retrouve aussi d’autres professionnels comme les pépiniéristes entre autres. Certaines entreprises de confection se créent aussi localement. Souvent éthiques et responsables, ces boutiques utilisent des matières telles que le coton bio, le lin, le chanvre ou la laine. Entièrement réalisé en France, ces artisans font aussi partie du carnet d’adresses des locavores.
Les lieux d’achat des produits locaux
En progression exponentielle, les lieux d’achat de ces produits se diversifient. Le marché reste assurément l’endroit connu de tous pour s’achalander auprès des petits producteurs. Lieu convivial de rencontres, de découvertes et d’échanges, il est très plaisant tout comme les marchés de producteurs locaux. Il est ainsi facile d’acheter tous les produits sur un même lieu : fromages, viandes, volailles, rejoignent dans les paniers fruits, légumes, confitures et breuvages divers et variés.
Mais, ces professionnels du goût s’organisent et vendent aussi directement à la ferme ou sur l’élevage. Des magasins de fermiers voient aussi de plus en plus le jour regroupant différents corps de métiers et permettant ainsi de trouver sur une même surface différents produits. Ce concept oblige cependant le producteur a donné de son temps précieux pour la vente dans le magasin. Des drives sont parfois mis en place pour faciliter les achats et faire gagner du temps aux locavores.
Certains optent pour la préparation de paniers, élaborés en général toutes les semaines par l’intermédiaire d’une association. L’avantage principal est de faire découvrir et consommer le fruit du travail de l’agriculteur à des prix moindres. Mais, les produits sont souvent les mêmes durant toute la saison et le manque de diversité lasse parfois les consommateurs.
A l’instar de foodtrack.fr, un nouveau concept prend de l’ampleur : l’achat sur des plateformes de produits locaux. Cette formule « colle » ainsi à l’air du temps et permet de ne pas arpenter les rayons des magasins sinon depuis son canapé. Soigneusement choisis, des producteurs vendent leurs produits respectifs sur ce site dédié. L’avantage majeur est de faire profiter de denrées cultivées, élevées ou fabriquées sur tout le territoire à des consommateurs désireux de ne pas se cantonner aux spécialités de leur département. Découvertes et voyages deviennent ainsi les maîtres mots de ces plateformes. De plus, pour faciliter la vie des locavores, la livraison se fait de plusieurs façons. Le producteur peut, lors de tournées hebdomadaires, livrer lui-même les clients. Mais, les différents produits se récupèrent aussi directement dans le magasin ou dans des points-relais définis au préalable. Pour les commandes qui l’autorisent, la vente par colis est privilégiée. Pour tous types d’achat, le paiement se fait en ligne de façon sécurisée, il ne reste alors qu’à récupérer les produits minutieusement préparés par le professionnel.
La vente de produits locaux devient donc un levier majeur de l’économie. Elle est aujourd’hui le fruit du mélange d’une prise de conscience sanitaire, écologique et responsable menée tambour battant par la communauté des locavores. Bien conscients de ce nouvel enjeu, les petits producteurs mettent tout en œuvre pour contenter ces nouveaux consommateurs, de plus en plus exigeants sur la qualité retrouvée des produits. Entrainant dans leur sillage de plus en plus d’adeptes, le locavorisme ne cesse de grandir. Les producteurs l’ont bien compris et font preuve de beaucoup d’imagination pour accueillir de nouveaux clients en s’impliquant dans de nouveaux modes de distribution, tels que la plateforme de produits en ligne. Foodtrack.fr propose ainsi une gamme de produits qui s’élargit de jour en jour, le but étant que « tout ce qui se mange soit sur Foodtrack » avec un niveau d’exigence vis-à-vis des producteurs très strict. Ce site propose même des plats réalisés par un restaurateur.
Quelle que soit la façon de s’achalander, consommer des produits locaux a un impact direct sur la vie professionnelle des petits producteurs et des consommateurs. Les professionnels voient ainsi un lien de confiance se renouer avec les locavores et peuvent vendre leurs produits à des prix plus justes. Le client, quant à lui, profite de denrées d’une qualité sanitaire irréprochable et aux saveurs retrouvées.